Matcha, sushi, ramen… Comment la culture asiatique s’implante dans l’assiette des Français
Deux Français sur trois consomment de la cuisine asiatique au moins une fois par mois, et un sur quatre chaque semaine. Nicoleta / stock.adobe.com
DÉCRYPTAGE – Portée par la pop culture et la mondialisation, l’alimentation asiatique s’est imposée partout dans les supermarchés, les cuisines françaises et sur les réseaux sociaux. Une tendance qui s’ancre peu à peu dans les habitudes culinaires de l’Hexagone.
Matcha, ramen, bubble tea… L’alimentation asiatique a bel et bien envahi le quotidien des Français. Ces dernières années, les ouvertures de restaurants chinois, japonais ou encore coréens se sont largement intensifiées, les magasins spécialisés, eux, ont fleuri un peu partout en France et les rayons asiatiques des supermarchés sont désormais de plus en plus fournis. Un véritable business s’est ainsi créé autour de la culture gastronomique asiatique. Et la dynamique ne semble pas près de s’essouffler.
«Dans les années fin 70, il y a eu une grande immigration d’Asiatiques. La diaspora s’est ainsi installée et les personnes ont fait ce qu’ils savaient faire, soit de la nourriture. Petit à petit, plusieurs cultures sont arrivées », rappelle Jean-Christophe Bui. Venant de pays comme la Chine, le Japon, la Thaïlande, le Vietnam et d’autres nations d’Asie, ils ont apporté avec eux leurs traditions culinaires, leur savoir-faire et leur connaissance des ingrédients propres à leurs cultures. «Dans les années 90, le Club Dorothée a amené des dessins animés provenant d’Asie à la télévision française. On a commencé à voir des héros manger des ramens, des soupes miso, … C’est à partir de là que la culture asiatique s’est implantée réellement en France, et donc la nourriture aussi. La pop culture a beaucoup joué», détaille Jean-Christophe Bui.
Aujourd’hui, ce sont les jeunes générations qui portent la tendance. «Beaucoup de gens viennent voyager en Asie aujourd’hui, donc ça rend très populaire la culture asiatique», explique Natacha Li, présidente de LX France, importateur de produits asiatiques. Les réseaux sociaux jouent également un rôle central : «le plus grand intermédiaire, ce sont ces nouveaux médias. Ça permet d’approcher les autres pays, les autres cultures. Avec Instagram, il n’y a pas de frontière». L’esthétique, la nouveauté, et la perception de santé renforcent encore cette popularité. «C’est beau, coloré, les ingrédients se prêtent bien aux photos. Et les recettes sont vues comme saines, à base de plantes, d’herbes, de bouillons. Les Français voient que les Asiatiques mangent beaucoup mais ne grossissent pas », décrit Natacha Li. Sacha Abergel, président de Foodies Consulting, confirme : « le côté healthy et coloré plaît beaucoup. Des produits comme le matcha ou les banh mi cartonnent sur Instagram».
20.000 restaurants asiatiques en 2023
Longtemps cantonnée aux traiteurs ou aux restaurants traditionnels des quartiers asiatiques, la cuisine d’Asie s’est professionnalisée et démocratisée. En 2023, on comptait environ 20.000 restaurants asiatiques en France sur environ 160.000 établissements, selon l’Union Des Cafés Hôtels-Restaurants Asiatiques (UCHRA). Selon une étude de Food Service Vision, les enseignes de cuisine asiatique sont d’ailleurs les grandes gagnantes de la restauration rapide : le chiffre d’affaires était en hausse de 16% en 2023, pour un total de 1,3 milliard d’euros. Sur les plateformes comme Uber Eats, l’engouement est lui aussi confirmé : 3 des 10 plats les plus commandés en 2025 sont asiatiques (sushis, pad thaï, bo bun). Et selon une étude Harris Interactive, 2 Français sur 3 consomment de la cuisine asiatique au moins une fois par mois, et 1 sur 4 chaque semaine.
Ce succès ne surprend pas Sacha Abergel : «Il s’explique par trois raisons. D’abord, l’essor des cuisines ethniques depuis 15 ans : on est sorti de la cuisine française traditionnelle. Ensuite, l’appétence pour l’exotisme et enfin le côté bon marché : on déjeune pour 10 ou 15 euros depuis des années dans des restaurants chinois. En assemblant les trois, on explique très largement le succès de ces cuisines-là». Il note aussi une dynamique entrepreneuriale forte : «On a les restaurants traditionnels créés par des Asiatiques et beaucoup d’entrepreneurs qui ont compris le filon et qui donc créent du business». C’est ce qu’ont fait André Tan et son associé Lucas Sauquet avec leur groupe de restaurants Panda Panda. « On voulait démocratiser la nourriture chinoise. On a atténué certains goûts, simplifié quelques recettes pour les adapter aux Français, » explique André Tan. Et ça marche : «On était persuadé que c’était une cuisine reconnue et que les gens cherchaient. C’est une culture généreuse, peu coûteuse, conviviale, et qui se renouvelle».
L’explosion des produits alimentaires asiatiques
L’engouement ne se limite plus à la restauration. Les chiffres parlent d’eux-mêmes : Super U proposent 1159 références dans son «épicerie asiatique» en ligne, Carrefour en affiche 6126. «Avant, les gens mangeaient asiatique uniquement au restaurant. Aujourd’hui, ils cuisinent chez eux, en suivant des recettes» vues sur Instagram ou YouTube, remarque Natacha Li. Même les producteurs s’adaptent. «50% des produits asiatiques vendus en France proviennent maintenant d’Europe. L’ail noir, autrefois produit uniquement en Chine, et maintenant cultivé localement». Le plus grand fabricant de riz à sushis est désormais l’Italie, détaille la présidente de LX France. «Il y a vraiment une explosion des produits alimentaires asiatiques. On le voit bien, il y en a partout», résume Jean-Christophe Bui.
Pour les restaurateurs, le défi est désormais de se différencier dans un marché saturé. «Ceux qui réussissent aujourd’hui sont ceux qui racontent une histoire », insiste Jean-Christophe Bui. La cuisine asiatique s’inscrira-t-elle durablement dans les habitudes alimentaires des Français ? Pour André Tan, la réponse est claire : «Les gens continueront à manger chinois, comme ils mangent italien depuis 50 ans. La cuisine asiatique est en train de devenir un pilier culturel, au même titre que la pizza», estime André Tan. Sacha Abergel reste plus nuancé : « Comme toutes les tendances, on passera à autre chose. Le seul produit qui s’est vraiment installé, c’est le sushi. Le reste est cyclique. Il y aura d’autres modes. Le produit instagramable du moment change forcément», conclut l’expert en restauration.