Metro avant/après la crise : stratégie, évolution, résultats par Pascal Peltier, directeur général

Metro avant/après la crise : stratégie, évolution, résultats par Pascal Peltier, directeur général

Proximité avec ses fournisseurs et ses clients, digitalisation, logistique du dernier kilomètre, évolution de l’offre et des prix… Optimiste mais lucide, le directeur général Pascal Peltier raconte l’adaptation du grossiste pendant et après les confinements. Et les premiers résultats depuis l’ouverture des terrasses puis des restaurants.

Comment avez-vous traversé cette période totalement inédite ?

Nos 98 halles sont restées ouvertes ; c’était compliqué d’être le plus juste dans notre assortiment par rapport au niveau de commandes alors que l’activité était erratique. Notre chance, ça a été un afflux exceptionnel de restaurateurs venus s’approvisionner pour la VAE, la livraison, même si leur panier moyen était peu élevé. Notre chiffre d’affaires de 4,3 milliards d’euros en 2019 a ainsi baissé de 20 % en 2020 et même de 35 % sur la restauration, et de 30 % à fin mars 2021 (- 48 % sur la restauration).
L’enjeu d’une telle période, c’est de garder tout le monde mobilisé, les équipes, les clients, les fournisseurs pour le jour où ça repart.

Comment avez-vous fait pour les garder mobilisés ?

Sur nos 4000 fournisseurs, les quelque 3200 TPE/PME qui travaillent avec nous étaient grandement dépendantes de la RHD, on a pris le parti de les favoriser au détriment des grands groupes, qui eux avaient les reins plus solides, ou la capacité d’aller en GMS. Dans nos entrepôts, nous avons conservé 100 % de leur assortiment lors du premier confinement. C’était d’autant plus important que notre assortiment est à plus de 60 % en produits frais : on ne peut pas relancer la machine du jour au lendemain. Il faut prévoir, anticiper la pousse du fruit, du légume, l’élevage de la bête… Pour garder les fournisseurs en alerte, nos équipes ont pris du temps pour les rencontrer, leur assurer des débouchés. Nous avons accentué nos ressources, nos investissements pour qu’ils dédient une part importante de leurs produits, de leurs emballages, de leur logistique à la RHD. Nous avons créé des groupes de travail pour mener des réflexions ensemble, en dehors de toute négociation commerciale. J’estime que c’était de notre responsabilité.
Deuxième élément, nous avons formé nos équipes à mieux comprendre le métier de nos restaurateurs, à être plus à l’écoute de leurs difficultés, de leurs projets, de leur développement. Ils étaient de vrais experts produits, ils sont devenus de vrais experts de la compréhension.

Justement, comment accompagnez-vous ces restaurateurs dans leurs développements depuis la crise ?

Nous continuons de les accompagner dans le sens de la restauration durable car, j’en suis convaincu, ils doivent s’y inscrire s’ils veulent attirer et fidéliser leurs consommateurs… C’est l’esprit de Mon restau passe au durable, qui propose aux restaurateurs des conseils pour le sourcing local, des équipements consommant moins d’énergie, des recettes pour utiliser les produits de saison, pour éviter le gaspillage… Ca n’est plus possible de se dire qu’entre la production et la fin de l’assiette, 60 % part à la poubelle.
Nous avons également beaucoup travaillé sur la partie trésorerie. Nous avons beau être un cash and carry, le cash ne représente que 10 % des paiements : pour soulager notre clientèle, nous avons allongé le délai de paiement à 30 voire 60 jours, contre 10 à 20 précédemment.

On parle beaucoup de bio, de local, comment voyez-vous évoluer l’offre ?

Je crois un peu moins au développement du bio que du local, de l’origine France. Nous avons été le premier acteur à créer en 2020 un site pour nos producteurs locaux, https://www.metro-local.fr.  Et nous testons dans nos entrepôts de Chambéry et Chartres le Carreau des Producteurs, un emplacement où nous accueillons des petits producteurs (fruits & légumes, charcuterie, fromage ou encore confiture, jus de fruits…) qui vendent en direct leurs produits aux restaurateurs et métiers de bouche. Par ailleurs, nous avons initié et sommes le seul distributeur à avoir signé la Charte Origine France, avec les organisations agricoles (dont la FNSEA et les JA), de la restauration (dont le GNI et l’UMIH) et les fournisseurs PME (Légumes de France, FNB ou FEEF). Son objectif ? Elle consiste à valoriser les filières agricoles françaises, mettre en place des actions communes entre restaurateurs, fournisseurs et nous, et répondre aux attentes de qualité d’origine des consommateurs.

La digitalisation s’est accélérée avec la crise, comment l’avez-vous intégrée ?

Nous avons mis en oeuvre la solution Dish, en fait la création des sites Internet de nos clients, avec possibilité pour eux d’y adjoindre différents modules comme la réservation de tables, la commande pour la VAE ou la livraison avec module de paiement et pour l’été, le raccordement à notre partenaire Stuart. La création du site est gracieuse, les modules qui s’y rattachent payants, mais à des tarifs très accessibles. 35000 restaurateurs utilisent déjà cette solution.

Par ailleurs, nous avons investi des millions d’euros sur les infrastructures du dernier kilomètre, pour créer un vrai business omnicanal pour les points de vente. Nous avons agrandi nos espaces pour y intégrer des centres logistiques de proximité, à Villeneuve, Bobigny, Vitry, Albertville, Chambéry, Lyon, Caen… Nous ne sommes pas connus pour la livraison, pourtant c’est 10 % de notre activité. Et nous livrons toutes nos références, soit 45000 produits disponibles dans nos magasins ou sur l’e-shop, et les 1500000 références de la market place avec ses 200 marchands partenaires.

Quel chiffre d’affaires réalisez-vous avec la market place ?

Il est encore modeste, entre 3 et 4 %, alors que les ventes sur Internet représentent 10%.

Alors que les restaurants viennent tout juste de rouvrir, comment voyez-vous la situation ?

Sans nier les difficultés traversées par certains, je suis vraiment optimiste. D’abord, les consommateurs ont envie de partager, de consommer ; il semblerait que les transactions de cartes bancaires explosent et d’après le GNI, le ticket moyen aurait augmenté de 30 % par rapport à 2019. Ensuite, beaucoup de restaurateurs ont profité de cette période pour repenser leur cuisine, leur concept, leur décor ; d’ailleurs, notre bureau d’études a beaucoup de devis en cours pour refaire les salles, les cuisines, les terrasses de nos clients.
Si on prend comme référence 2019, qui était une excellente année, depuis début mai, nous sommes à + 40% sur le non alimentaire (petit et gros matériel, consommables…) que ce soit sur les fourneaux, le froid, la plonge, le lavage, les arts de la table, ou l’équipement des terrasses, qui est en rupture. Et sur l’alimentaire, nous sommes revenus à – 5% depuis début mai, nous passons à + 5% début juin. Comme nous sommes toujours restés ouverts, ce qui n’était pas le cas de tous nos concurrents, nous avons gagné des parts de marché, des clients, mais sans doute cela se rééquilibrera-t-il dans les semaines à venir. Cela dit, nous n’avons pas de boule de cristal pour savoir comment les restaurateurs vont réagir dans les mois qui viennent avec le débranchement progressif des aides, le retour ou non des touristes internationaux, le télétravail…

Dans cette reprise très dynamique, observez-vous des disparités ?

Oui, entre les régions d’abord. Depuis la mi-mai, le Sud-Est est reparti plus vite que les autres. Non seulement, la proportion d’établissements qui dispose d’une terrasse y est plus élevée que la moyenne, mais l’activité réalisée sur les terrasses y est aussi deux fois plus forte (60 % vs 30 %). L’absence de clientèle étrangère et la non tenue de festivals pourrait néanmoins se faire sentir dans les semaines qui viennent. A l’opposé, c’est l’Ile de France qui a le plus de mal à repartir, à cause de l’absence de touristes internationaux et du télétravail, même si les terrasses sont prises d’assaut.
On note aussi des différences entre secteurs d’activité. La boulangerie-pâtisserie par exemple est à + 20 % chez nous depuis début 2021, et la boucherie-charcuterie à + 5 %.

L’Ania a sorti une note de conjoncture sur la flambée du prix des matières premières. Quelle réponse apportez-vous sur le terrain ?

On observe un phénomène d’inflation du cours international des matières premières. Sur de nombreuses catégories à cours, nous avons pris des positions pour nous couvrir jusqu’en septembre. Pour certaines catégories non alimentaires qui utilisent du carton ou de l’aluminium par exemple, nous allons tout faire pour limiter les hausses. Et sur des catégories alimentaires dont la production a été réduite du fait d’intempéries, notamment les fruits et légumes, nous allons devoir nous positionner au jour le jour.
Nous espérons tous que la consommation en restauration reparte avec énormément de vigueur, et en même temps, si c’est le cas, cela peut avoir des répercussions sur l’inflation de certaines catégories de produits.

Si vous aviez une notion à garder de toute cette crise, quelle serait-elle ?

La solidarité, la compréhension des enjeux des uns et des autres. Cette période m’a appris que le combat face à une grande crise nous dépasse, il n’y a qu’ensemble qu’on peut y arriver, chacun avec ses ressources. Et pour s’adapter, il suffit souvent d’écouter ses clients, ses équipes. Les nôtres ont eu de super idées…
Propos recueillis le 9 juin 2021
Article de Sabine Durand – A retrouver en cliquant sur Source

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