Tourisme en France : les gagnants et les perdants d’une saison estivale très contrastée

En attendant septembre, annoncé porteur, l’été 2024 est bigarré pour le tourisme français. La saison estivale a été déterminée par une conjonction de facteurs : météo, actualité politique, JO, pouvoir d’achat en berne. Elle a été favorable à la région PACA, alors que les professionnels du nord-ouest de la France font notamment grise mine.

Saison estivale de tous les contrastes pour le tourisme français. En cette fin août, certains professionnels se frottent déjà les mains avec satisfaction mais d’autres comptent encore sur septembre, globalement placé sous les meilleurs auspices, pour sauver la saison. Des fortunes diverses qui s’expliquent par un contexte hors normes. Une situation qui tranche après plusieurs saisons estivales de sortie de crise sanitaire qui ont vu l’activité et le moral des opérateurs au beau fixe .

Cet été, la destination France et la filière, extrêmement segmentée et diversifiée, ont été fracturées par une météo souvent pluvieuse pour une bonne partie du territoire métropolitain jusqu’à la fin juillet, avec pour symbole ces trombes d’eau tombant lors de la cérémonie d’ouverture des Jeux Olympiques, mais aussi par ces mêmes JO organisés au pic de la saison et par un contexte politique décoiffant avec une dissolution surprise . « Il y a eu une cassure immédiate de la courbe des réservations des Français que je n’explique pas de manière rationnelle », témoigne, à propos des campings – premier mode d’hébergement touristique collectif en France -, le président de la Fédération nationale de l’hôtellerie de plein air (FNHP), Nicolas Dayot. Par ailleurs, complète un autre expert du tourisme, « le démarrage tardif de la saison s’explique aussi par l’Euro de football en Allemagne . Des Français sont restés chez eux pour voir les matchs ».

Juillet versus août

Résultat, juillet a été généralement médiocre voire mauvais, tandis qu’août a donné lieu à un renversement de tendance bienvenu, alimenté par des ventes de dernière minute. « En juillet, le nombre de nuitées était en retrait de 9 %, les Français faisant défaut contrairement aux visiteurs étrangers. A la fin août, nous étions sur un cumul de -4 % pour l’ensemble de la saison », indique notamment Nicolas Dayot. « Septembre s’annonce meilleur que l’an passé mais on aura du mal à rattraper notre retard. En avril, on était sur une hausse de 6 %. Notre avance a fondu comme neige au soleil tout au long d’un printemps et d’un début d’été pluvieux », ajoute-t-il.

Ce contraste entre juillet et août est tangible aussi dans l’hôtellerie au vu des statistiques du groupe d’études et de conseil MKG Consulting : en juillet, le taux d’occupation, toutes catégories hôtelières confondues, était en retrait de 1,6 point tandis qu’il a augmenté de 1,5 point sur les dix-neuf premiers jours d’août. La désaffection de Paris avant les JO a pesé lourd. Les hôteliers français ont néanmoins dopé leur chiffre d’affaires en tirant leurs prix vers le haut…

Ce grand écart entre juillet et août est également observé quand on se penche sur des niches de marché. Ainsi, le pôle aventure du groupe Voyageurs du Monde – Terres d’Aventure, Nomade Aventure, Allibert Trekking… -, est « à zéro en nombre de départs en France sur juillet-août, avec une baisse de 10 % en juillet et une progression de 10 % en août », précise son responsable et codirecteur général adjoint du voyagiste, Lionel Habasque . « La saison sera bonne car notre croissance était de 25 % en juin et la tendance pour septembre est comprise entre 5 et 10 % », tient-il à souligner. Une bonne nouvelle pour le numéro un de la « rando », la France étant sa première destination (12 % de sa clientèle).

D’une manière générale, le nombre de nuitées des Français diminuerait de 6 % sur la période 29 juin-18 août, selon ADN Tourisme, la fédération nationale des organismes institutionnels de tourisme.

Nord-Nord-Ouest-Atlantique contre Sud

L’effet météo calamiteux sur une bonne partie de la métropole a, sans surprise, guidé la fréquentation des régions. La Normandie – en dépit du 80e anniversaire du « D-Day » -, la Bretagne et l’arc atlantique, qui avaient tiré leur épingle du jeu en sortie de la crise du Covid et notamment en 2022 pour cause de canicule, ont été délaissés, tandis que PACA fait un retour fracassant.

Pour les campings, le nombre de nuitées progresse de 14 % en cumul à la fin août pour PACA, tandis qu’il régresse de 15 % en Normandie, de 8 % en Bretagne, de 7 % en Vendée – premier département en nombre d’emplacements (plus de 52.000) -, ou encore de 13 % en Nouvelle-Aquitaine. « Il y avait des mobil-homes vides à l’Ile de Ré lors de la seconde quinzaine de juillet », rapporte le président de la FNHP. Ce dernier relève aussi le succès de l’Ardèche (+7 %), une illustration de la fréquentation européenne, surtout en juillet.

L’hôtellerie a également profité de l’engouement pour la Côte d’Azur. MKG fait état d’une progression du taux d’occupation moyen de 3,9 points pour la « Méditerranée occidentale » en juillet et de 3,5 points pour les dix-neuf premiers jours d’août. « Au fond, c’est une forme de retour à la normale pour PACA qui va de pair avec le succès de destinations sud-européennes comme la Grèce. C’est la garantie soleil », souligne le dirigeant du groupe de conseil, Vanguelis Panayotis.

A noter, par ailleurs, une fréquentation très contradictoire de la montagne selon les acteurs. Alors qu’elle serait en berne selon MKG, Karim Soleilhavoup, le directeur général de Logis Hotels, annonce « une croissance pour tous les massifs » sur lesquels le groupement d’hôteliers-restaurateurs indépendants est présent. Pour sa part, Groupe Pierre & Vacances Center Parc voit son taux d’occupation « quasi identique » en montagne (76 %), sachant qu’il progresse légèrement sur ses destinations « mer » (93 %).

Des villes qui flambent grâce aux JO

Si leur organisation a pu perturber le début et le déroulement de la saison estivale, les Jeux Olympiques ont dynamisé l’activité touristique des villes mobilisées par l’événement parce qu’accueillant des compétitions ou des délégations.

Se livrant à une étude d’impact, MKG chiffre ainsi à 357 millions d’euros « le gain global » pour l’hébergement, la quinzaine olympique ayant permis d’effacer « les pertes importantes d’activité » avant JO, en particulier à Paris. Dans la capitale, le taux d’occupation a bondi de 10 points, alors qu’il chutait de 20 points à la mi-juillet, et le prix moyen de la nuitée a crû de 118 %. A Châteauroux et Lille, les chiffres d’affaires ont été quasiment multipliés par 4, la hausse étant de 50 % pour Aix-Marseille.

« Paris a fait office de locomotive », constate, de son côté, le directeur général de la branche française de BWH Hotels (Best Western, BW Premier Collection, SureStay…), Olivier Cohn. Ainsi, détaille-t-il, l’augmentation du chiffre d’affaires de l’opérateur à Paris s’élève à 23 % pour juillet-août, sachant qu’elle atteint 8,7 % en moyenne pour l’ensemble de son réseau. Olivier Cohn confirme aussi le carton plein de Châteauroux : sur la région Centre-Val de Loire, la hausse des revenus de BWH Hotels France est de 8 % hors Châteauroux et de 30 % en intégrant les performances de la préfecture de l’Indre, laquelle a accueilli les compétitions de tir de Paris 2024.

Des vacanciers-consommateurs qui dépensent moins

Si la sortie de la crise Covid avait donné lieu à un lâcher-prise généralisé, d’autant que l’épargne des Français avait gonflé pendant les confinements, l’heure est clairement à la modération cet été. ADN Tourisme qualifie même de « point d’alerte » l’évolution de la consommation touristique. « Les gens dépensent peu sur site », selon les professionnels, la restauration étant la première variable d’ajustement.

Ceux qui en avaient les moyens sont partis à l’étranger.

« Nos études d’avant-saison montraient que le budget moyen des Français baisserait de 6 % cet été. On le constate désormais dans leur consommation. La crêpe, la petite glace, ça marche encore. En revanche, tout ce qui est cher ou pas forcément utile ne se vend pas. Les moules-frites à 21 euros, cela ne passe plus. Par ailleurs, les commerces de textiles et les ventes de souvenirs sont pénalisés dans les stations », commente notamment le directeur général du cabinet spécialisé Protourisme, Didier Arino. Qui ajoute : « il y a un problème de pouvoir d’achat mais pas pour tout le monde. Ceux qui en avaient les moyens sont partis à l’étranger ». « Si les établissements 4 et 5 étoiles alimentent toujours la croissance de l’activité des campings, on a du mal cette année à louer les hébergements premium contrairement à ceux considérés comme plus économiques, y compris sur un même site haut de gamme. D’ailleurs, le nombre de nuitées en cumul à la fin août recule de 5 % pour les mobil-homes et les chalets, à comparer à un retrait de 2 % pour les emplacements nus », observe, de son côté, le président de la FNHP.

La prime au bon rapport qualité-prix

En dépit d’une conjonction de facteurs perturbateurs, un certain nombre d’opérateurs n’en réalisent pas moins une belle saison estivale 2024, en particulier grâce aux formules « tout compris ». « Quand on a un bon rapport qualité-prix, ça fonctionne », résume Didier Arino. Ce poil à gratter du tourisme français n’hésite pas d’ailleurs à saluer « ces opérateurs qui travaillent bien » et de citer Club Med en particulier. De fait, le taux d’occupation de ses villages de vacances est « proche des 90 % en France », selon sa direction. Ses villages alpins ont notamment bien tourné.

Même constat chez Belambra, le numéro un en France, ou chez Villages Clubs du Soleil, d’autant que l’été est également globalement favorable aux clubs. « Le « all inclusive » est une formule qui permet de maîtriser complètement sa dépense », rappelle le président de Belambra, Alexis Gardy. Pour sa part, Karim Soleilhavoup explique « le sixième été consécutif de croissance » de Logis Hotels par la combinaison d’une « hôtellerie d’expérience » et d’« une stratégie d’accessibilité du produit ».

En dépit d’un début de saison « compliqué », Groupe Pierre & Vacances Center Parcs, à l’offre fort diversifiée, anticipe un chiffre d’affaires « comparable » s’agissant de l’hébergement, et de rappeler que l’été 2023 « constituait déjà une base de référence élevée ».

Christophe Palierse