Une baisse structurelle

Après ces périodes agitées et délétères pour la profession, il était important voire indispensable de dresser un état du marché mais aussi comment les uns et les autres préparent leur avenir. Nous avons pour cela donné la parole à Pierre Albrieux, président de NAVSA, pour l’ensemble des gestionnaires et à un panel de fournisseurs d’automates, de monétique et de services.

Sans surprise aucune, la crise a impacté toute la profession, les gestionnaires bien évidemment et aussi, par voie de conséquence, les fournisseurs. Elle a éga­lement induit des modifications en profon­deur dans le rapport au travail des salariés et plus particulièrement elle leur a fait prendre conscience du confort du télétravail : ne pas avoir à se déplacer fait gagner beaucoup de temps et de stress. Comme les syndicats et le patronat ont négocié un accord national interprofessionnel (ANI) sur le télétravail, ce dernier est appelé à s’installer définitivement. Ce changement sociétal a bien évidemment des répercussions directes et fortes sur la distribution automatique : tout salarié absent du bureau est un consommateur de moins. Face à cette perte de volume, structurelle pour certains, développer de nouvelles offres et valoriser les prestations vont devenir des points cruciaux pour récupérer du chiffre d’af­faires car, comme le dit Thierry Collen, DG de Rheavendors France : « A défaut de volume, il va falloir se concentrer sur la valeur ».

Une situation disparate

Alors que l’on a tendance à raisonner en moyennes, force est de constater que la situation des entreprises de DA est extrême­ment contrastée, d’abord entre les régions, ensuite entre sites publics et privés. Pour Pierre Albrieux, « Cette crise est régionale. Par exemple, l’Est de la France, très indus­trialisé, a peu perdu, entre 10 et 15 %, récupérés pour la plupart dès juin 2021. A l’opposé, les grandes métropoles – Île de France en tête – ont dégringolé de 40 à 60 % et les gestionnaires peinent à revenir à leur niveau antérieur. On peut parler d’une baisse moyenne de 30 %, avec des variations qui vont de -15 à -60 %. C’est très logique dans la mesure où ces métro­poles ont majoritairement une activité tertiaire, propice au télétravail, et donc pénalisant pour la DA au bureau mais aussi dans les transports ». Après une forte reprise en avril, NAVSA estime que la perte moyenne constatée à l’échelle nationale sur le premier semestre 2021 par rapport à 2019 est de 20 %. Divergences également dans le secteur public, où la baisse de fréquentation des transports publics a fortement pénalisé les prestataires, tandis que sur les autoroutes, « On n’a jamais autant performé que cette année », confiait un gestionnaire. Pour le président de la Fédération, le retour au niveau de 2019 ne pourra être atteint avant la fin 2022, et sous réserve que l’on ne connaisse pas encore un nouveau variant qui viendrait interrompre la reprise. « Il y a une amélioration, mais il faut rester prudent, car la fin des aides est actée », prévient Pierre Albrieux.

Le grand ménage

La situation économique de nombreuses entreprises est critique, ayant accusé des per­tes très importantes en 2020. Leur trésorerie est à zéro et les aides s’arrêtent. Cela va être compliqué. Pour autant, Pierre Albrieux ne fait part que de quelques faillites sporadiques. En revanche, la plupart ont entamé une réor­ganisation en profondeur de leurs entreprises. Cette remise en cause touche les tournées, remodelées. De nombreux gestionnaires ont cessé leurs prestations dans les entreprises où le contrat était déficitaire voire peu rentable. Il est d’ailleurs étonnant de constater que dans le cas de retrait de machines, les concurrents ne s’étaient pas précipités pour reprendre le site, jugeant que si le gestionnaire en place s’était retiré, c’est que ce n’était pas une bonne affaire. Il y a eu aussi beaucoup de licencie­ments dans la profession (15 % de l’effectif global) et se pose d’ailleurs aujourd’hui un problème d’effectifs, les gestionnaires peinant à recruter au moment de la reprise. Pierre Albrieux redoute à ce sujet une baisse de la qualité des prestations. Enfin, il y a eu une trêve des confiseurs, pour reprendre les mots du président, au cours de laquelle de nombreux gestionnaires ont augmenté les prix, profitant au passage pour négocier la transition au gobelet carton et la durée du contrat. Il y aurait eu à cette période assez peu de refus de la part de clients plutôt empathiques. Cette période est terminée, la lucarne s’est refermée et cela sera plus difficile pour ceux qui n’ont pas fait ce travail. Pour conclure, le président de la Fédération appelle à la vigilance vis-à-vis des encours clients, certains pourraient faire faillite.

Résilience

Nous avons demandé aux fournisseurs comment ils percevaient l’état d’esprit des gestionnaires et leurs réponses sont porteuses d’espoir. Tous confirment l’effort d’assainis­sement des sociétés de DA, et notamment l’abandon des contrats inintéressants avec retrait des machines. De même, « Une majorité de gestionnaires ont augmenté leurs prix, et avec succès dans la plupart des cas. On voit également pointer de nouvelles formules de presta­tions, plus près du full service, où les machines sont louées, et ces prestations sont bien mieux valorisées », appuie Thierry Collen, DG de Rheavendors France. Pour Adrien Poncet, directeur des Ventes de Brita Professional, les gestionnaires sont « dans un mélange d’inquiétude et d’ambi­tion. Inquiétude liée aux incertitudes de la reprise, au maintien plus ou moins impor­tant du télétravail notamment dans le ter­tiaire, aux nouvelles demandes OCS et/ou Table Top, tout cela venant s’ajouter aux contraintes liées aux nouvelles législations sur les gobelets. En même temps ambition car les gestionnaires sont combatifs et créa­tifs, à l’image de toutes les actions menées par NAVSA, son bureau et son président. Ils réfléchissent chaque jour aux meilleurs services à apporter aux consommateurs, et nous, les partenaires industriels comme BRITA, sommes au cœur de ces réflexions ». Et en synthèse des propos des autres indus­triels, ils ont ressenti un certain attentisme jusqu’à l’été mais plusieurs annoncent de gros projets à partir de septembre, qu’il s’agisse d’automates, de monétique voire d’informa­tique.

Chez les fournisseurs

Si les gestionnaires ont fortement pâti de la crise, tous les fournisseurs interrogés, à l’exception d’un seul (GTI), ont été très durement impactés, conséquence logique de l’arrêt d’activité de leurs clients, avec une baisse des ventes de l’ordre de 30 % en 2020. Les freestanding ont plongé, mais les OCS et Table Top profitent d’une demande en hausse, conséquence d’un “downsizing” des effectifs présents au bureau, particuliè­rement dans le tertiaire. Aujourd’hui, tous sentent une reprise d’activité depuis avril/mai. Pour Jean-François Suteau, General Mana­ger Sales & Marketing de SandenVendo, « Le rebond est effectif, partout en Europe, sauf peut-être en Espagne, moins dynamique. Nous avons reçu de grosses commandes d’Allemagne ou de Grande-Bretagne, les demandes de dernière minute vont être difficiles à satisfaire car nous sommes à flux plus que tendu en production ». Ce que confirme Peter Bode, directeur Export de Sielaff : « Effectivement nous assistons à une forte reprise depuis le mois de mai-juin mais qui reste fragile et qui risque de freiner suite aux nouvelles annonces du 12 juillet (Discours d’Emmanuel Macron et nouvelles mesures sanitaires. NDLR) ». Face à cette reprise, les gestionnaires doivent anticiper leurs commandes, d’autant que des fabricants d’automates sont touchés par les dif­ficultés d’approvisionnement et la hausse des prix de certaines matières premières, jugée « indécente » par Jean-François Suteau et qui atteste d’une « guerre quotidienne avec les fournisseurs ». Des propos que ne démentira pas Frédéric Fougerole, DG d’Evoca Group France : « Les approvisionnements se sont tendus depuis la fin du premier confine­ment, la pénurie de composants oblige nos acheteurs à user de tout leur talent pour arriver d’une part à fournir les composants nécessaires à la production de machines et d’autre part les pièces détachées indispensables à l’entretien de celles-ci. Cependant, nous avons pu notamment ces derniers mois livrer des quantités importantes de machines dans des délais très courts afin de répondre aux demandes de nos clients », ni Peter Bode de Sielaff : « Nous avons des difficul­tés d’approvisionnement dans l’achat de pièces métalliques, électroniques, et en plastique. Comme pour l’industrie automobile en Allemagne, nous devons arrêter la production en raison de pièces manquantes, les délais de livraison des machines sont allongés. Heureusement, dans notre filiale française, nous dis­posons d’un entrepôt de machines et de pièces détachées, que nous avons rempli par anticipation et nous sommes tou­jours en mesure de fournir les machines à temps ». Pour profiter à plein de la reprise, les constructeurs se préparent à sortir de nom­breux nouveaux modèles (cf. encadré). La nouvelle réglementation européenne sur les gaz réfrigérants les oblige à être prêts pour le 1er janvier 2022 pour tous les snacks. L’écologie sera d’ailleurs au coeur des conceptions de ces nouveaux modèles, comme l’analyse Frédéric Fougerole : « L’as­pect écologique prend de plus en plus de place chez les clients finaux et il n’est plus rare que certaines entreprises deman­dent des machines reconditionnées afin de diminuer l’empreinte carbone ou de nouvelles machines moins énergivores ». La conclusion revient à Pierre Albrieux : « La profession a été solidaire et reste solidaire. Les clients ont été empathi­ques, ils ont compris notre situation. J’ai aussi eu la satisfaction de constater qu’il y avait moins de concurrence violente sur le terrain. NAVSA et son bureau se sont vraiment démenés durant toute la crise, et encore maintenant. Je voudrais dire que s’il y en a qui n’ont toujours pas compris l’utilité de NAVSA, c’est qu’ils ne seront jamais convaincus et qu’ils sont incurables ! ».

Source : Une baisse structurelle | DA Mag, toute la Distribution Automatique et l’Univers du Café