Danone veut être le plus local des géants de l’alimentation

Le groupe réalise 58 % de ses revenus avec des marques locales. Emmanuel Faber, le patron du groupe, détaille aux « Echos » ses initiatives pour rendre le groupe plus réactif et proche du terrain.

Comment analysez-vous les résultats publiés ce matin au regard de votre stratégie ?

Ils sont tout à fait alignés avec notre ambition de participer pleinement à la révolution de l’alimentation en cours. Nous avons accéléré en 2018, avec une croissance organique de 2,9 % et une augmentation significative de notre marge de 51 points de base en données comparables, ce qui nous permet de confirmer nos objectifs pour 2020. Mais le plus important pour nous est de mener à bien cette révolution de l’alimentation grâce à la poursuite de l’intégration de WhiteWave. Les trois-quarts des catégories produites par ce groupe bio et végétal ont connu une croissance supérieure à 5 % en 2018. En France, la marque Alpro assure à elle seule plus de 50 % de la croissance des alternatifs végétaux aux yaourts. Un segment qui progresse de 30 % dans l’Hexagone. En octobre, nous avons d’ailleurs posé la prochaine étape du plan WhiteWave, en nous fixant un objectif de 5 milliards d’euros de revenus en 2025 pour les produits d’origine végétale contre 1,7 milliard aujourd’hui.

Pensez-vous qu’à terme, les produits végétaux se substitueront aux produits animaux ?

Le recul des produits laitiers a commencé en 2010 en Europe. Aujourd’hui, les produits végétaux c’est 15 % de notre portefeuille de produits laitiers et d’origine végétale mondial. Aux Etats-Unis, cela représente plus d’un milliard d’euros. En Europe, 700 millions. Les autres grands marchés, comme l’Amérique latine et la Chine, sont à construire. C’est pour cela qu’on s’est fixé pour objectif d’atteindre 5 milliards d’euros de ventes à horizon 2025. Mais à cette date, les produits laitiers animaux représenteront encore 10 milliards de revenus. Au total, les produits végétaux représenteront le tiers de notre activité produits laitiers et d’origine végétale en 2025.

Quels seront les mérites de ce nouveau modèle alimentaire ?

Ce qui nous paraît fondamental dans ce modèle réconciliant la santé et la planète c’est qu’il existe des modèles qui d’ici 2025-2030 peuvent permettre à l’Europe de recouvrer sa souveraineté alimentaire. Elle n’aurait plus à importer des protéines, du soja, du maïs d’Amérique. D’ici 2025, elle aurait opéré sa transition vers une agriculture régénératrice, qui reconstitue les sols, dégage un revenu agricole suffisant, garantit le bien-être animal et même le retour de la biodiversité. L’Institut du développement durable des relations internationales (Iddri) a déposé un modèle qui permettrait de nourrir les Européens en convertissant 10 % de la surface actuelles en marais et en haies. On sortirait les troupeaux de l’étable pour les mettre à l’herbe. Il y aurait moins de viande, mais de meilleure qualité, dans le régime alimentaire, avec plus de légumes, de légumineuses et des produits laitiers surtout fermentés. Ce type de régime réduirait considérablement les coûts économiques et sociaux liés par exemple au diabète ou à l’obésité, tout en étant meilleur pour la planète.

Le ralentissement en Chine est-il un gros sujet de préoccupation ?

En Chine, nous avons connu un moment de croissance extraordinaire dans l’alimentation infantile pendant trois ans. Les ventes ont augmenté de 25 % en moyenne par an depuis 2016. Mais ce marché, qui est le premier au monde, est en phase de normalisation, avec la baisse des naissances et le vieillissement de la population. D’ici 2025, la classe moyenne supérieure chinoise va passer de 70 à 150 millions de foyers. Cela va créer de nouvelles opportunités de croissance sur un marché très exigeant. Mais à cause d’une base de comparaison très élevée en 2017, la croissance est passée dans le négatif au second semestre 2018. C’est pour cela qu’il était très important d’accélérer sur les produits laitiers et alternatifs d’origine végétale. Dans ce sens, la bonne nouvelle du quatrième trimestre, c’est que notre activité produits laitiers et d’origine végétale en Europe s’est stabilisée.

Où en est-on de la crise de l’ultra-frais en Europe ? Le yaourt a-t-il encore un avenir ?

Oui, bien sûr. Mais on ne peut plus travailler comme avant, en mettant tout l’accent sur des packs de 16, voire 32 yaourts, sur lesquels il y a 30 % de promotion. Ce modèle-là est derrière nous. Ce qui assure l’avenir, c’est la rupture que nous avons opérée en 2018. Le plus bel exemple de cette démarche, c’est Activia. Après l’échec de la relance de la marque en 2016, qui nous a valu un gros trou d’air en 2017, nous avons réinventé notre organisation et notre approche.

C’est-à-dire ?

Nous avons donné beaucoup plus d’autonomie aux régions et transformé l’offre et le visuel de la marque, en le déclinant pays par pays, produit par produit, pour répondre aux codes de consommation d’aujourd’hui. Plus qu’une marque, Activia, c’est désormais une idée, une expertise globale du confort digestif, fondée sur cinq ferments, présents dans 150 produits et qu’on peut faire voyager d’une catégorie à l’autre. Dans cette optique, nous allons d’ailleurs sortir Activia de la famille des produits laitiers, en lançant un Activia végétal au lait d’amande. Au Mexique, nous avons déjà sorti des jus de légumes avec les ferments Activia.

Comptez-vous décliner cette approche avec d’autres grandes marques ?

Nous l’avons déjà fait avec Danone, en créant la série 1919 ou les Danone du Monde, une gamme de yaourts inspirés de différentes cultures. Nous personnalisons aussi beaucoup notre offre dans l’eau. Grâce au numérique, nous avons par exemple réussi à produire une bouteille à 2 millions d’exemplaires spécifiques. Tout cela s’appuie sur un recours accru à l’innovation. En 2016, 16 % de nos ventes étaient réalisées avec des produits qui n’existaient pas il y a deux ans. Nous sommes passés à 25 % en 2018. Et cela est très lié à des marques locales.

Leur poids est en hausse constante chez Danone ?

58 % de nos revenus mondiaux sont réalisés avec des marques locales et la tendance générale, c’est que les petites marques locales continuent de grignoter des parts de marché chaque année.

Les grandes marques ont-elles la capacité d’inverser cette tendance ?

Quand on regarde les baromètres, la confiance des consommateurs continue à s’éroder. Mais ce n’est pas la fin des grandes marques. Je pense qu’elles continueront d’avoir un rôle, à condition d’être des marques « activistes ». C’est-à-dire des marques qui s’engagent à faire avancer des causes, à la hauteur des moyens et de la notoriété dont elles disposent. Ces marques doivent devenir une bannière de ralliement d’une vision du monde et d’une posture mais pour cela il faut qu’elles en apportent les preuves. Les gens ne se satisfont plus de ce qui est sur l’étagère mais ils regardent le produit pour voir savoir d’où il vient, comment il est fabriqué et qui est derrière.

Comment adaptez-vous le groupe à ces nouveaux enjeux ?

Il faut être plus horizontal, être plus proche du terrain. Dans ce cadre, nous avons annoncé ce mardi une nouvelle organisation afin de passer de 7 à 13 régions dans le monde. Cela va faire de nous l’entreprise globale la plus locale de notre secteur. Une entreprise dans laquelle, les régions gagnent en autonomie. Le siège mondial ne peut plus tout décider et il faut que les bonnes idées nées sur le terrain puissent circuler et être partagées. A l’automne, nous avons aussi lancé une consultation auprès de nos 100.000 salariés afin qu’ils nous disent quelles sont, selon eux, les priorités au niveau global et local. Nous allons d’ailleurs créer un espace au conseil d’administration pour que les salariés puissent régulièrement nous faire part de leur vision des choses dans ce domaine. Vous pouvez apprendre beaucoup de choses, quand vous donnez la parole aux gens. A partir de l’Assemblée Générale et dans l’année du centenaire de Danone, la totalité des salariés sera également actionnaire de l’entreprise à hauteur d’une action.

Vous avez lancé les probiotiques il y a vingt ans. Les nouvelles générations s’y intéressent-elles comme leurs parents ont pu le faire ?

Les 15-35 ans qui assurent 30 % de la consommation mondiale sont persuadés que le fonctionnement de l’intestin et les probiotiques sont fondamentaux pour leur santé. Activia qui était le pionnier se réinvente en trouvant de nouveaux codes qui peuvent s’appliquer à énormément de types de protéines différentes.

Quel premier bilan faites-vous de la loi Alimentation et de son application ?

Il y a eu un changement clair d’état d’esprit. Notamment via de nombreux accords dans le lait. Mais cela reste plus compliqué pour d’autres filières. Je crois néanmoins qu’il ne faut en rien lâcher la vision à moyen terme. Collectivement, nous sommes toujours dans un schéma dans lequel le prix affiché, même s’il est élevé pour une partie des Français, n’est pas le véritable prix d’une alimentation durable.