Des prix qui grimpent mais des clients de plus en plus mal reçus : rien ne va plus dans les hôtels en France

ENQUÊTE – Premiers mots trop convenus, absence totale de bienveillance… Alors que les tarifs des nuits d’hôtels s’envolent on est de moins en moins bien reçus… État des lieux dans la première destination touristique du monde.

Franchir les portes d’un hôtel tient parfois du pittoresque. La réceptionniste du 4-étoiles parisien devant laquelle nous nous présentons est au téléphone. Notre présence n’éveille chez elle aucune intention d’en finir avec son interlocuteur. Pas un mot en « off » à notre égard pour s’excuser de nous faire attendre, pas même un petit geste pour nous inviter à patienter. C’est un peu comme si on n’existait pas. Dans un palace parisien, c’est l’inverse. À peine entré, un jeune homme nous dépouille de nos bagages et nous conduit à la réception, où une kyrielle de sourires mécaniques nous accueillent. S’ensuit un dialogue courtelinesque : « Bonjour, Monsieur, comment puis-je vous aider ? (…) Votre voyage s’est-il bien passé ? » « Oui, j’habite tout à côté et du coup je suis venu à pied… » « Parfait, Monsieur, pas trop de monde sur la route ? »

À la distraction qui révèle une absence totale d’attention se substitue une mécanique ennuyeuse, dont on a envie parfois de s’échapper au plus vite. Les réceptions dématérialisées sont les pires. On vous installe sur un canapé où l’on vous sert un improbable cocktail (genre tisane tiédasse à la rose et au persil). Un flot ininterrompu de paroles lénifiantes s’ensuit, à laquelle met fin (on se croirait presque dans un film policier) la remise d’une pièce d’identité et la prise d’empreinte… de votre carte bleue ! « On ne devrait pas demander une carte de crédit et remplir de la paperasse quand on arrive à l’hôtel, dans mon futur établissement, ce ne sera pas le cas. On sera accueilli par un sourire, une madeleine et un café », assure Valéry Grégo, le propriétaire du Couvent, qui ouvrira ses portes à Nice au printemps prochain. Les commentaires sur les réseaux sociaux sont parfois éloquents. « Le réceptionniste était si désagréable que j’ai fini par ne plus rien lui demander », écrit Béatrice au sortir d’un établissement nantais 3 étoiles. « Si on dérange, faut nous le dire ! », se plaint Élodie, à l’adresse d’un établissement lyonnais estampillé 4-étoiles.

Dans les abîmes de la médiocrité

Entre ceux qui en font trop, ceux qui n’en font pas assez et ceux qui ne font rien, la tradition si française de l’accueil à l’hôtel connaît depuis quelques années une plongée abyssale, dans les abîmes de la médiocrité. « L’excès de standardisation a dépersonnalisé l’accueil. On a tendance à répéter des phrases toutes faites qui ressemblent à celles d’une hotline de téléphonie mobile. Le point d’équilibre entre la simplification de l’accueil et le niveau nécessaire de chaleur, dont on a besoin quand on pénètre dans un lieu inconnu peine à être trouvé », constate encore Valéry Grégo. Le module de formation que propose le site du lycée hôtelier de Poitiers évoque la nécessité d’une « hygiène corporelle irréprochable » avec : « visage, cheveux, rasage, maquillage, acné, verrue, parfum, dentition, haleine, bijoux », avant de recommander au réceptionniste « une position debout, corps tourné en direction du client, hochement de la tête, bras le long du corps, ou légèrement en arrière. Pas de bras croisés, ni de mains dans les poches ». Aurait-on idée d’accueillir un client en lui présentant son postérieur ? On en est donc là !

La perception de la qualité du service est indissociable de la qualité de l’échange humain

Inès Blal, professeur à l’EHL

À l’École hôtelière de Lausanne (EHL Hospitality Business School), réputée la meilleure au monde, on a pleinement conscience de l’essentiel. « La perception de la qualité du service est indissociable de la qualité de l’échange humain. Parfois des interactions sont remplacées par des outils d’intelligence artificielle , mais, si le client fait face à un problème particulier, l’incident ne pourra être résolu qu’entre humains », rappelle Inès Blal, professeur à l’EHL.

L’hôtel Esteem, un exemple à suivre

À toute cette problématique, une tentative de réponse est donnée par un nouveau venu, l’hôtel Esteem – « estime » en anglais – (9, rue Ginoux, dans le 15e arrondissement de Paris), qui fait de la matière humaine l’ADN de son développement. Tout a commencé par un constat sans appel de son président, Timothée de Courcy, durant la pandémie de Covid, alors qu’il était employé d’un groupe hôtelier français. « Je me suis rendu compte que les collaborateurs étaient mal payés et avaient des conditions de vie et de travail souvent difficiles. Or il ne peut pas y avoir une bonne expérience client s’il n’y a pas d’abord une bonne expérience collaborateur. »

Ainsi mûrit l’idée d’ouvrir cet hôtel où le bonheur d’y travailler conditionne celui d’y être bien reçu. Côté personnel, parmi une dizaine de mesures, une rémunération de 10 % supérieure au smic hôtelier ou l’accès à une mutuelle familiale (et non individuelle) et, côté hôte, une interaction plus forte. « Lorsqu’un client réserve, il reçoit par mail le nom du réceptionniste qui l’accueillera et celui de la femme de chambre chargée de l’entretien durant son séjour », explique Timothée de Courcy. Inédit. À notre arrivée, nous sommes donc accueillis par quelqu’un dont nous connaissons le nom. S’enchaînent avec une certaine bienveillance les mots simples d’un réceptionniste qui s’exprime clairement, voix mesurée, regard rassurant, une vraie sympathie en émane. De même, quelques instants plus tard, lorsque nous pénétrons dans notre chambre, un petit bristol a été déposé sur le lit. On peut y lire : « Bonjour, je suis Fousseny et j’ai préparé votre chambre… J’espère que celle-ci vous plaira, n’hésitez pas à me le faire savoir sur le QR Code. Je reste à votre disposition si besoin. » La possibilité est offerte de laisser un pourboire directement à cette employée.

On revient aux basiques de l’hôtellerie, qui est un métier de service, ce qu’on a parfois tendance à oublier

Timothée de Courcy, président de l’hôtel Esteem à Paris

L’hôtel de 29 chambres, qui coche par ailleurs toutes les cases du bon comportement environnemental et du chic, a bien compris que la valorisation de l’offre client passe d’abord par un recrutement pointilleux de ses collaborateurs. « On est très vigilant, non pas sur l’origine sociale de ceux qui travaillent avec nous, mais plutôt sur l’environnement éducatif et familial qui les entoure, et on apporte un soin particulier à leur formation de réceptionniste, avec un mot d’ordre, être présent sans être pesant. » Et le patron de l’hôtel Esteem de conclure : « On revient aux basiques de l’hôtellerie, qui est un métier de service, ce qu’on a parfois tendance à oublier. » Cependant, ce qui paraît facile à mettre en place avec une trentaine de chambres est sans doute plus difficile, lorsqu’il s’agit d’en gérer dix fois plus. Il n’empêche, en cette année d’organisation des Jeux olympiques et paralympiques en France, le défi reste entier, à la hauteur de la première destination touristique du monde. Les hôteliers méditant l’adage de César Ritz :  « Le client n’a jamais tort ! »

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