« Ils ont loupé le coche il y a 40 ans »: les coffee shops vont-ils tuer le bistrot français?

Alors que le nombre de bistrots ne cesse de reculer en France, celui des coffee shops, lui, est plein boum depuis quelques années. Si les Starbucks ont importé le concept chez nous, ce sont désormais des déclinaisons « à la française » qui tirent le marché.

« Le bar X est en vente ». Depuis trois ou quatre ans, les lecteurs de la presse régionale sont habitués à lire ce genre d’articles dans leur quotidien. Une rapide recherche sur Google Actu permet de s’en rendre compte. Du bar le Thouet dans les Deux-Sèvres à L’Embuscade et le Rev’bar dans les Ardennes en passant par Les Oiseaux de passage dans les Côtes-d’Armor, le Bar des Carmes à Nancy ou Le Malmedy à Beaune en Côte-d’Or…

Chacun de ces établissements est en vente et ces annonces trouvent malheureusement de moins en moins preneur. Les habitués de ses bars de quartiers se retrouvent de plus en plus souvent devant un rideau de fer lorsqu’ils descendent tôt le matin prendre leur café. Même dans des villes très touristiques comme Aix-en-Provence où une institution, le Bar des PTT, s’apprête à fermer définitivement et ce après plus d’un siècle d’existence, relate France Bleu sur son site.

En revanche quand on tape « ouverture coffee shop » dans le même moteur de recherche, c’est une autre réalité en miroir qui nous est donnée à voir. Aux quatre coins de France, dans de grandes métropoles ou de petites communes, ces commerces de café semble pulluler.

Et ce n’est pas qu’une impression, confirme David Serruys, président du Collectif café, la principale fédération du café de spécialité en France.

Un coffee shop chaque semaine

« Chaque semaine en France, il y a un coffee shop qui ouvre, assure-t-il. On en dénombre aujourd’hui entre 3500 et 4000 sur tout le territoire. »

À l’inverse le nombre de débits de boissons traditionnels ne cesse de chuter. Sans même remonter aux années 1960 où la France comptait encore 200.000 bistrots, le pays continue de perdre ses bars. L’Insee dénombrait en 2021 34.600 entreprises dans ce secteur d’activité contre encore 40.000 au début des années 2010.

Pour les experts, c’est d’abord la baisse constante de la consommation d’alcool depuis des décennies qui a fait le plus de mal à la France des bistrots.

Mais ce n’est pas la seule raison, comme l’explique à BFM Business, Marcel Benezet du Groupement national des indépendants (GNI).

« L’arrivée massive des McDonald’s et Starbucks, ça a été l’hécatombe, se remémore-t-il. Aujourd’hui il y a de plus en plus de lieux festifs dans les grandes villes pour consommer comme sur les bords de Seine par exemple. Et dans les petites villes, il n’y a plus rien. »

Après la première lame des fast-foods et des chaînes internationales, c’est la seconde lame des coffee shops locaux qui ferait beaucoup de mal aux bistrots à l’ancienne.

« Le coffee shop est moderne et sexy »

« Les cafés, bars et brasseries ont loupé le coche il y a 40 ans déjà, estime Bernard Boutboul de Gira Conseils. Ils ont laissé la restauration rapide leur prendre des clients, maintenant ils laissent les coffee shops. Les bistrots ne bougent pas alors que le coffee shop est plus moderne, plus sexy. Pour moi il y a un jeu de vase communicant qui s’opère entre les deux. »

Pour les jeunes générations de consommateurs, le coffee shop a l’image d’un lieu cosy et chaleureux avec ses canapés, ses cafés servis dans des mugs et ses produits faits maison.

« Surtout ils ont su capter cette nouvelle tendance de consommation toute la journée, estime David Serruys. Petit déjeuner, brunch, déjeuner, café, pause gourmande l’après-midi, mixologie sans alcool… Ils offrent une restauration qui correspond à l’époque. »

Certains y voient une nouvelle étape dans l’américanisation des mœurs et des modes de consommation des Européens. Bien que le coffee shop trouve son origine en Australie, pays à l’origine des latte, flat white, cappuccino, long black, espresso et autres chai, c’est les États-Unis et Starbucks qui ont exporté le modèle dans le monde entier. Les grandes chaînes comptent d’ailleurs plus de 730 points de vente dans l’Hexagone pour un chiffre d’affaires de 400 millions d’euros en très forte hausse de 12%, selon le cabinet Food Service Vision.

Le coffee shop devient français

Pour autant, depuis quelques années ce sont les coffee shops à la française qui tirent le marché. Selon les estimations du Collectif café, plus de huit coffee shops sur 10 sont aujourd’hui des indépendants. Le pays a digéré le concept pour en proposer une déclinaison adapté aux modes de consommation locaux.

« C’est l’arrivée de coffee shops francisés, voire latinisés qu’on constate ces dernières années, explique Bernard Boutboul. Starbucks n’est pas si apprécié que ça en France. Ils n’ont pas de restauration salée digne de ce nom et surtout les consommateurs ne se baladent pas dans la rue avec leur gobelet. »

Dans le coffee shop à la française, on s’attarde pour lire un livre, on travaille en profitant du wifi et on peut y rester des heures en n’ayant consommé qu’un latte à 2 euros. Mais surtout de plus en plus on le fréquente pour découvrir de nouveaux cafés dits de spécialité.

« Ce sont des cafés à forte valeur environnementale et qui ont les meilleures notes de dégustation, indique David Serruys. Les coffee shops racontent une histoire de terroir et de goût différente des bistrots de quartier qui ne sont que sur un expresso italien très amer. »

À l’origine un phénomène très citadin et parisien, le coffee shop à la française touche désormais une population de villes moyennes. Certains cafetiers comme Terres de café (neuf coffee shops à Paris) s’attaquent à des villes de province avec une première ouverture à Lille cet été.

Cet attrait pour les nouveaux modes de consommation de café n’a pas non plus échappé aux grands groupes de boulangeries qui ont, eux aussi, le vent en poupe. Que ce soit Paul, Ange ou Marie Blachère, chacun des groupes a lancé ces derniers mois son concept de « Starbucks à la française ».

De quoi donner encore du grain à moudre à une profession de bistrotiers en perte de vitesse.

Par Frédéric Bianchi – A retrouver en cliquant sur Source

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