
Jus de fruit : Eckes-Granini au coeur d’un imbroglio juridique
Suite à un grave différend avec un Axel Hartmann, son partenaire commercial en Russie, le leader du jus de fruit Eckes Granini fait l’objet d’une série de saisies dans ses filiales européennes, dont la France, où le groupe possède une usine. L’homme d’affaires allemand réclame 60 millions d’euros de dommages et intérêts, soit l’équivalent du résultat (EBIT) d’une année. Eckes Granini conteste la validité de l’arbitrage rendu en Russie.
Voilà 26 ans que le groupe familial allemand Eckes Granini produit des jus de fruits à Mâcon en Saône et Loire . Va-t-il pouvoir poursuivre son activité ?
Le groupe se trouve actuellement au milieu d’un imbroglio juridique qui pourrait lui coûter cher. Voire mettre une des 10 filiales européennes en péril. Axel Hartmann, un ancien partenaire commercial allemand en Russie, qui, depuis 2019, lui réclame 60 millions d’euros de dommages et intérêts (peu ou prou l’équivalent d’une année d’excédent brut) tente de récupérer cet argent. Et cela, par tous les moyens : l’affaire qui a occupé successivement les tribunaux russes, hongrois, suisses et allemands a été portée récemment devant la justice française.
Faire pression
Pour faire pression sur le groupe, Axel Hartmann a démarré une série de saisies de parts sociales et de marques commerciales en Hongrie, en Belgique, aux Pays-Bas et depuis peu en France. Son objectif : vendre aux enchères les actifs qu’il saisit s’il n’obtient pas l’argent qu’il réclame. Eckes Granini ne voit là que des manoeuvres d’intimidation et se dit « confiant » dans les suites judiciaires.
Explications. En 2003, l’entreprise familiale Eckes Granini s’installe en Russie. Elle charge un homme d’affaires allemand Axel Hartmann, d’assurer la production et la distribution de ses jus de fruits. La collaboration entre les deux partenaires prend fin en 2008, sur de nombreux désaccords. Eckes Granini reproche à son partenaire de ne pas avoir respecté ses exigences en matière d’hygiène et de sécurité alimentaire, tandis qu’Axel Hartmann l’accuse d’avoir pillé sa filiale russe pour ne pas remplir ses obligations envers lui.
Condamné à payer 49 millions d’euros
Onze ans plus tard, suite à une procédure engagée par l’homme d’affaires allemand, Eckes Granini est condamné par un tribunal arbitral russe à lui verser la somme de 49 millions d’euros, plus les frais de justice. Une sentence confirmée par la Cour suprême de Russie, mais « obtenue en toute violation des principes élémentaires de la loi », selon le groupe de jus de fruits. Un des trois arbitres qui a refusé de signer le jugement a d’ailleurs rendu une opinion dissidente, pointant du doigt de sérieuses irrégularités à la procédure.
En Allemagne, le tribunal de Coblence, ville du siège de la plupart des sociétés du groupe Eckes Granini, n’a pas encore dit si la sentence prononcée en Russie peut être exécutée dans le pays. Dans ses délibérations préliminaires, elle a toutefois indiqué qu’elle contestait la compétence du tribunal arbitral russe. Sa décision finale est attendue le 20 janvier 2022.
Saisies
En France, Axel Hartmann a obtenu en avril la reconnaissance de la sentence devant le tribunal judiciaire de Paris. Mais, cette dernière fait l’objet d’un recours. La cour d’appel appréciera l’an prochain si la sentence rendue en Russie peut s’appliquer dans l’hexagone en l’examinant dans le détail et sur le fond. Sa décision sera capitale.
En attendant, l’homme d’affaires a engagé des saisies de parts sociales des entités françaises, et de marques commerciales, jugées illégales par les avocats du groupe Eckes Granini. A Paris, le juge de l’exécution a annulé les saisies. A Mâcon, il les a confirmés. Le 9 décembre prochain, toutes les parties seront réunies devant une autre chambre de la cour d’appel de Paris qui devra, suite à cette audience, ordonner à Axel Hartmann d’arrêter ces saisies, ou bien lui permettre de continuer. L’affaire risque de mettre encore des mois à se régler.
Eckes Granini, numéro 3 en France
Eckes Granini a stoppé toute relation commerciale avec Hartmann en Russie en 2008 de « façon amicale » et « contractuelle » selon ses termes. L’entreprise dit n’avoir aujourd’hui « qu’une petite activité d’exportation en Russie ». Elle exporte par ailleurs dans 80 pays et détient une dizaine de filiales en Europe. L’Allemagne est son principal marché avec 34 % de son chiffre d’affaires total de 873 millions d’euros devant la France, où elle totalise 19 % de son activité. Les autres filiales européennes pèsent toutes moins de 10 % mais Eckes Granini contrôle des parts de marché plus importantes dans ces autres pays (Scandinavie, Hongrie, Autriche…).
En France, où il ne possède que l’usine de Mâcon, elle totalise un chiffre d’affaires de 180 millions d’euros. Avec une part de marché inférieure à 10 %, Eckes est le troisième acteur du jus de fruits dans l’hexagone grâce aux marques Joker et Pago. L’entreprise vient très loin derrière les marques de distributeurs (60 %) et juste derrière Tropicana. Les jus de fruits sont un des rares produits alimentaires à avoir beaucoup souffert du COVID. Les ventes ont reculé de 5 % en deux ans.
Article de Laurence Boisseau et Marie-Josée Cougard – A retrouver en cliquant sur Source
Source : Jus de fruit : Eckes-Granini au coeur d’un imbroglio juridique | Les Echos