Alexandre Ricard, PDG du groupe Pernod Ricard. François BOUCHON/Le Figaro
C’est un triste anniversaire que les dirigeants de Pernod Ricard pourraient fêter en sabrant le champagne. Jeudi, cela fera un an qu’Elliott a annoncé détenir plus 2,5 % du numéro deux mondial des spiritueux. À l’époque, la nouvelle sème la stupeur dans le capitalisme français: c’est la première fois qu’un fonds activiste s’invite au capital d’un géant du CAC 40. Pis, il a choisi un fleuron en bonne santé, dont les héritiers du fondateur détiennent 21,9 % des droits de vote.
Le 12 décembre, avant l’ouverture de la Bourse, Elliott fustige dans un communiqué la «sous-performance» de Pernod Ricard, sa «gouvernance inadaptée» et sa «culture peu ouverte sur l’extérieur». Il recommande «un plan d’amélioration opérationnelle plus ambitieux pour combler l’écart de rentabilité» avec le leader Diageo.
Chez Pernod Ricard, l’inquiétude est palpable, derrière la sérénité de façade.
De quoi laisser augurer un bras de fer homérique. Chez Pernod Ricard, l’inquiétude est palpable, derrière la sérénité de façade. Ses dirigeants se sont préparés au pire. Comme leurs pairs du CAC 40, ils savent depuis le milieu de la décennie que l’Europe est le prochain terrain de jeux des activistes américains, à l’origine de moult fusions, scissions, démantèlements et autres plans d’économies aux États-Unis.
Chez Pernod Ricard, la menace se précise début 2018: des ex-collaborateurs sont contactés dans le cadre d’une enquête sur Pernod Ricard, son PDG et… ses faiblesses. Elliott, mis sur la piste par Alain Minc, a lancé une étude approfondie sur sa cible. Le cabinet Roland Berger passe des heures sur le réseau LinkedIn pour reconstituer les effectifs du groupe pays par pays, fonction par fonction, afin d’identifier les postes à supprimer. Au même moment, Alexandre Ricard, qui a réussi plus vite que prévu son projet annoncé mi-2015, de relancer la croissance, prépare un nouveau plan à trois ans, «Transform & accelerate».
Le groupe reçoit la première déclaration de franchissement de seuil d’Elliott le 7 novembre. Il découvre avec effroi le nom de l’actionnaire qu’il sentait rôder: le fonds créé par Paul Singer est réputé le plus agressif des activistes. Alexandre Ricard accepte un rendez-vous avec Elliott, fixé au lendemain de l’assemblée générale où il dévoile le plan «Transform & accelerate».
Vérifications de la DGSE
Le jeudi 22 novembre, le PDG sort de la maternité, où sa fille vient de naître. Dans la salle de réunion vitrée située à côté de son bureau du siège parisien du groupe, place des États-Unis, le petit-fils de Paul Ricard reçoit l’équipe d’Elliott. Pendant une heure trente, ces trois financiers français installés à Londres lui présentent un document de 84 pages analysant les performances du groupe. Briefé par les banquiers de Lazard, Morgan Stanley et Société générale, le PDG écoute poliment ses interlocuteurs, prenant bien soin de ne pas les contredire.
Le décor est planté : Elliott veut placer Alexandre Ricard sous tutelle.
Elliott intensifie la pression. Dès le lundi suivant, le fonds envoie un courrier de trois pages aux administrateurs de Pernod. Insinuant que le PDG partage son analyse, il rappelle ses recommandations: nommer des administrateurs indépendants, lancer un plan d’économies de 500 millions d’euros et rester ouvert à une fusion avec un géant des spiritueux. Et Elliott de conclure en remerciant Alexandre Ricard de son «invitation à une nouvelle réunion à court terme afin de l’aider à élaborer un plan d’action». Le décor est planté: Elliott veut placer Alexandre Ricard sous tutelle.
Pas besoin d’appeler au secours le gouvernement. Celui-ci est déjà au courant: deux jours plus tard, le PDG est invité en urgence à Bercy pour rencontrer Bruno Le Maire, avant de se rendre à l’Élysée le lendemain. Place des États-Unis, on se met en état de siège. La DGSE vient vérifier les locaux, les dirigeants s’équipent de portables sécurisés et mettent en garde leur famille…
Tous les observateurs font la même analyse : le fonds veut affaiblir Pernod Ricard pour le contraindre à se marier avec Diageo
Faute de réponse à ses demandes de rendez-vous, Elliott se dévoile aux marchés le 12 décembre. Sa suggestion de fusion avec un géant des spiritueux, absente du communiqué, fuite dans la presse, ce qui provoque l’ire d’Elliott. Tous les observateurs font la même analyse: le fonds veut affaiblir Pernod Ricard pour le contraindre à se marier avec Diageo, ce qui ne peut se faire sans l’aval de LVMH, Diageo détenant 34 % de Moët Hennessy.
Bruno Le Maire appelle Bernard Arnault pour le mettre en garde. Fin janvier, le PDG de LVMH met les choses au clair: «Nous n’avons rien à voir avec cela, nous n’avons aucun contact avec Elliott et ma famille a des relations amicales avec Alexandre Ricard. Nous ne ferons rien qui puisse le gêner dans les problèmes qu’il a avec Elliott.» La fusion avec Diageo devient de facto impossible.
Attaques sur la famille
Alexandre Ricard obtient très vite le soutien de son deuxième actionnaire (7,5 %): «GBL adhère pleinement aux valeurs familiales de Pernod Ricard, basées sur la création de valeur dans la durée.» Mais Elliott ne lâche pas la pression et rencontre les actionnaires du groupe. Là, les attaques fusent sur la gouvernance, la culture managériale et les mésententes dans la famille. Le plan d’économies est détaillé: 240 millions d’euros en supprimant et délocalisant près de 20 % des effectifs, 130 millions en optimisant les budgets pub, 60 millions sur les transports et 80 millions sur l’énergie.
De son côté, le roi des spiritueux s’active. Il fait évoluer sa gouvernance, ce que réclame Elliott. Mais pas question de piocher dans la liste d’administrateurs proposée par le fonds. Le plan «Transform & accelerate» commence à faire effet. Début février, lors de la publication de bons résultats semestriels, Pernod Ricard présente un plan d’économies de 100 millions. Cinq fois moins que celui réclamé par Elliott. «C’est un premier petit pas pour commencer à traiter le manque d’efficacité opérationnelle, lâche le fonds dans un communiqué. Toutefois, les objectifs financiers pourraient être plus élevés.»
…….
Bras de fer moins sanglant
Depuis février, Elliott n’a plus ni traitement privilégié ni rendez-vous sur-mesure au siège: comme les autres investisseurs, il est reçu lors des road shows. Pernod Ricard s’échine à convaincre ses actionnaires que son projet «Transform & accelerate» est plus créateur de valeur que celui proposé par Elliott.
L’action de Pernod Ricard a bondi de 18 % depuis un an. Les deux clans peuvent se targuer d’avoir gagné le bras de fer, rendu moins sanglant par la flambée du cours. Des observateurs pensent qu’Alexandre Ricard a amplifié ses projets, accéléré leur mise en œuvre et profité d’Elliott pour les faire accepter par son board, sa famille et les dirigeants. Chez Pernod Ricard, on réfute toute modification ; la hausse du cours ne saurait être considérée comme une victoire de l’activiste.
…Lire l’article complet de Ivan Letessier – Les Echos en cliquant sur Source