Prix, promo, concurrence : ce qui va changer dans la grande consommation

L’entrée en vigueur de la loi alimentation bouleverse les codes des supers et hypermarchés. Les nouvelles règles favoriseront certains acteurs et en pénaliseront d’autres.

Ramdam dans les rayons. Les principales dispositions de la loi Egalim, aussi appelée  loi alimentation , votée fin 2018 sont entrées en vigueur le 1er février. Le relèvement de 10 % du seuil de revente à perte oblige les distributeurs à augmenter le prix des produits agroalimentaires qui étaient vendus à prix coûtant ou presque, les stars des grandes marques. Les promotions sont limitées à 34 % du prix et 25 % des volumes. Le but est de générer de la marge pour les enseignes afin de leur permettre de mieux payer leurs fournisseurs, notamment les agriculteurs. Certaines étiquettes vont flamber, d’autres baisseront. De nouveaux types de promotions seront inventés. Radiographie des conséquences de ce traitement de choc.

 Les prix qui montent et ceux qui baissent

La hausse des prix provient du relèvement de 10 % du seuil de revente à perte. La loi Egalim ne concerne que les prix alimentaires. Les produits qui étaient vendus à prix coûtant, c’est-à-dire à 0 marge pour le distributeur, augmentent de 10 %. Si la marge était de 4 %, l’augmentation est de 6 points. Cela concerne les produits de marque les plus connues des consommateurs, le Coca-Cola, le Nutella, le camembert Président, le Ricard, etc. Selon Didier Guillaume, le ministre de l’Agriculture, ce sont 500 références sur 13.000 dans les supermarchés et 800 sur 20.000 dans les hypermarchés, soit 4 % de l’offre. Dominique Schelcher, le président de Système U, évoque 7 % de l’assortiment, soit 1.500 articles.

Les distributeurs sont passés maîtres dans l’art de la péréquation de la marge. Et alors que la concurrence fait rage entre les enseignes, celles-ci baisseront le prix de leurs marques propres pour compenser la hausse des stars des grandes marques. Leclerc a ainsi pris l’engagement sur 4.600 références, Intermarché sur 5.500. Le consommateur allant vers des produits de meilleure qualité ou réputés tels, comme le bio ou la production des PME, les enseignes chercheront aussi à rendre ces produits moins onéreux. Enfin, les promotions seront déplacées sur les produits qui n’entrent pas dans le champ de la loi alimentation, comme la lessive et l’hygiène beauté.

Les gagnants

A ce stade, seules les entreprises laitières ont le sourire. « Les Etats généraux de l’Alimentation ont été faits sur mesure pour notre secteur », dit un industriel.  Quelques accords ont en effet déjà été signés entre les entreprises transformatrices et les enseignes sur un niveau de prix à payer aux producteurs. C’est le cas de Bel (La Vache qui rit) et Savencia (Caprice des dieux) avec  Intermarché . C’est également le cas du leader Lactalis (Lactel) avec Leclerc, qui avait début janvier pris un premier engagement du même type avec Danone. Pourtant, les producteurs restent pour le moins circonspects. La FNPL (Fédération nationale des producteurs de lait) « prend acte », mais réclame de la « transparence », notamment de Lactalis, Danone et Leclerc qui n’ont pas précisé de prix. « La conjoncture mondiale est meilleure. Le prix payé aux producteurs a augmenté de ce fait. On ne sait pas vraiment mesurer l’effet EGA dans l’amélioration déjà effective de la rémunération des producteurs ». Même son de cloche à la Coordination rurale, qui évoque « une avancée minime par rapport aux prix pratiqués ces derniers mois » et « reste dubitative sur la manière dont cela va se répercuter sur le prix payé aux éleveurs ».

Les secteurs dans le flou

La loi vise « l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole ». L’objectif est de mieux rémunérer les agriculteurs. Le gouvernement a fait un calcul : les distributeurs feront plus de marge sur le Coca-Cola et le Nutella, et reverseront ce surplus de rentabilité sur les produits agricoles achetés en direct ou via les industriels. Il s’agit d’un pari. Rien n’oblige à ce ruissellement. Les interprofessions évaluent leurs coûts de production mais il faudra du temps pour voir s’ils sont bien pris en compte.

Des questions cruciales se posent aussi pour certains produits. C’est le cas des alcools comme le Ricard, un produit d’appel vendu au prix de revient et qui attire le chaland. Malgré ses tentatives répétées, « depuis six mois », auprès de la Direction de la consommation (DGCCRF), la marque ne sait toujours pas sur quelle base s’appliquera la hausse de 10 % prévue par la loi. Portera-t-elle sur le prix taxes incluses ou sur le prix hors taxes ? L’incidence ne serait pas du tout le même car les droits d’accises (taxes) représentent les trois quarts du prix de l’alcool. Dans le premier cas, la hausse serait de 1,90 euro. Dans le deuxième, elle serait de 60 centimes d’euros.

Les PME redoutent également le relèvement de 10 % du seuil de revente à perte (SRP). « La hausse du SRP va se traduire par une préférence des distributeurs pour les rayons générateurs d’une masse de marge plus importante et donc pour les marques des multinationales », note la FEEF, le syndicat des PME alimentaires. Les marques des PME ont pourtant alimenté à 80 % la croissance des ventes de la distribution depuis cinq ans, selon Nielsen. Ses craintes sont toutefois contredites par plusieurs experts qui estiment que les magasins ne dégarniront pas les rayons des produits que les clients demandent le plus. Ces produits porteurs, produits locaux, de PME ou bio, pourraient en revanche souffrir du fait que les enseignes vont chercher à faire baisser leurs prix et seront plus dures lors des négociations d’achat. Leclerc a déjà ainsi vendu du lait bio moins cher que le lait standard alors que les coûts de production sont bien supérieurs.

Enfin, pour les grandes marques souffrant déjà d’une forme de désaffectation de la part des consommateurs, il existe un risque que la hausse de leurs prix pèse sur leurs ventes.

Les perdants

Michel-Edouard Leclerc le crie sur tous les toits depuis des mois : le grand perdant de la loi Egalim serait le consommateur. La guerre des prix lui a bénéficié ces dernières années. Richard Girardot, le président de l’association des industries alimentaires (Ania), affirme que la baisse des étiquettes a redonné 4,5 milliards d’euros de pouvoir d’achat en quatre ans. Le président des Centres Leclerc estime que, cette année, c’est un milliard qui sera repris dans les porte-monnaie, avec des hausses de 4 % à 6 % de certains produits phares. Selon IRI, l’inflation des produits de grande consommation a été de 0,2 % en 2018. L’entrée en vigueur de la nouvelle réglementation pourrait porter ce chiffre à  1,3 %, dans une hypothèse a maxima. L’Ania parle cependant de seulement 6 euros de plus en cumulé payés par les Français par an.

Les industriels de la beauté et de l’hygiène, et plus généralement les fabricants de produits non-alimentaires, devraient être les victimes indirectes de la loi Egalim. Leur production n’entrant pas dans le périmètre du texte, les distributeurs devraient reporter leurs méga promotions (au-delà du rabais de 34 % au maximum désormais imposé) sur ces articles. Leclerc propose ainsi dans une publicité « un acheté, un offert » pour un flacon de lessive liquide Ariel, soit « 6,99 euros au lieu de 13,98 ».

5 Les incertitudes de la loi

Les avocats se réjouissent. La loi Egalim leur donne du travail. Une disposition concentre les incertitudes : la limitation des promotions à 34 % du prix et 25 % des volumes. Les professionnels se demandent s’il s’agit des volumes de l’offre ou des volumes de la demande. En d’autres termes, si je fais une promotion sur un article, puis-je la faire sur 25 % des articles présents dans mes rayons ou sur 25 % des articles que j’aurai réussi à vendre ? Des questions se posent aussi sur les nouvelles mécaniques promotionnelles que les distributeurs – avec l’aide des fournisseurs parfois – mettent en place. Afin de compenser la hausse des prix des grandes marques, Carrefour propose, par exemple, jusqu’à 1,50 euro de remise sur 200 produits qui seront crédités sur la carte de fidélité du client. Cet avoir constitue une forme de réduction. Sera-t-il cumulable avec une promotion faciale de 34 % ? Carrefour précise que ces « primes fidélité » ne se cumulent pas avec d’éventuels avantages promotionnels et que ce sont des remises différées et non immédiates qui « respectent la loi sur le seuil de revente à perte ».

Emmanuel Durand est avocat chez De Pardieu Brocas Maffei, spécialiste de la concurrence et de la consommation. Selon lui, le cagnottage (le cumul d’argent sur une carte de fidélité) est légal dans tous les cas si le bonus est lié au montant total du panier de la ménagère et pas attaché à un produit en particulier. En d’autres termes, si une enseigne vous offre 10 euros pour un ticket de 100 euros, il sera difficile à la Répression des fraudes de savoir si tout ou partie de ces 10 euros doivent être affectés à une bouteille de Coca-Cola, par exemple, qui bénéficierait déjà d’un rabais de 34 %.

Il faut attendre les premiers contentieux et les premiers jugements pour préciser la doctrine en la matière. Emmanuel Durand précise que la loi prévoit des sanctions pénales en cas de non-respect des règles sur les promotions, mais que « le droit pénal ne permet pas de sanctionner quelque chose qui n’est pas précis ».

Prix, promo, concurrence : ce qui va changer dans la grande consommation