Thierry Marx: «La France n’en fait pas assez pour assurer l’avenir de son tourisme»

Thierry Marx. SEBASTIEN SORIANO/Le Figaro

ENTRETIEN – Le président confédéral de l’Umih, premier syndicat d’hôteliers et de restaurateurs de France, déplore le manque de reconnaissance d’une industrie qui fait vivre 2 millions de personnes.

Il est l’un des chefs français les plus prestigieux. Désormais à la tête de la première organisation professionnelle de l’hôtellerie-restauration, l’Umih (Union des métiers et des industries de l’hôtellerie), Thierry Marx estime que le tourisme doit se réformer pour être à la hauteur des enjeux numériques et environnementaux.

LE FIGARO. – Avec le 80e anniversaire du débarquement en Normandie, les Jeux olympiques (JO) et la réouverture de Notre-Dame de Paris, 2024 sera-t-elle, pour reprendre d’expression d’Emmanuel Macron, une «année de fierté française» pour le tourisme?

THIERRY MARX. - Les indicateurs sont au vert. Les JO vont mettre en lumière la France et son attractivité touristique avec un effet durable, dopant les réservations y compris après les épreuves. Je lis que le tourisme n’a pas de valeur ou n’est pas une industrie, alors même qu’il représente 8 % du PIB et fait travailler 2 millions de personnes, dont la moitié dans les hôtels et restaurants. Il crée de la valeur économique et sociale dans d’autres industries, comme on le voit ces jours-ci avec la Fashion Week. Cela dit, le secteur du tourisme doit se réformer pour s’adapter aux enjeux liés au numérique et aux impacts environnementaux. Nous allons vers un tourisme décarboné, ce qui nous oblige à nous réinventer.

La France en fait-elle assez pour assurer l’avenir de son tourisme?

Non, la France n’en fait pas assez pour assurer l’avenir de son tourisme. Ni sur la formation, ni sur la prise en compte des impacts environnementaux, ni pour assurer une diversité de l’attractivité de la France. Le tourisme ne doit plus reposer seulement sur Paris, le littoral et la montagne. Il faut accélérer le développement du tourisme vert et permettre de redécouvrir les joies de la ruralité, cela permettra d’assurer la vitalité des territoires et l’avenir des villages… L’avenir du tourisme en France ne peut se programmer dans une vision de décroissance.

Pourtant, la baisse programmée des vols long-courriers à destination de l’Europe va priver la France d’une partie de ses visiteurs les plus dépensiers.

Certes, les vols long-courriers seront moins nombreux et plus chers. Il y aura moins de voyageurs venus d’autres continents, mais ils resteront plus longtemps. Cela compensera et permettra d’allonger la saison touristique. Je suis contre le voyage low cost, qui repose sur une économie du renoncement à la qualité. Je crois au contraire à l’économie de la qualité. Le tourisme va se réinventer avec des voyages plus lents. On connaît depuis des années le mouvement «slow food» en gastronomie. Le tourisme va passer au «slow travel».

Une poignée de sites sont assaillis de visiteurs. Ce surtourisme nuit-il à l’attractivité de la France?

Le tourisme est mal régulé, mais il n’y a pas de surtourisme. Certes, j’ai vu des sites en Thaïlande détruits par la surfréquentation. Aux États-Unis, si vous n’avez pas de réservation pour visiter certains monuments, vous ne pouvez pas entrer. Au XXe siècle, vous pouviez aller partout sans réservation. Ce passé est révolu. Il faut réguler, il n’y a pas le choix.

Quels sont les risques pour la destination France, qui reste la première destination mondiale?

Si nous ne faisons rien, la France risque de se faire rattraper ou dépasser par des pays comme l’Espagne, l’Italie ou la Grèce, qui disposent aussi de paysages magnifiques et d’une culture gastronomique. La France doit gagner en attractivité. Le manque récurrent de 200.000 personnes dans l’hôtellerie et la restauration fait chuter la qualité de l’hospitalité et nuit à l’attractivité de la destination. Depuis le Covid, les gens n’ont plus un rapport sacrificiel au travail et à la hiérarchie. Vous recrutez plus difficilement en imposant une coupure. Le travail n’est pas une valeur s’il n’y a pas de projet de montée en compétences. Aujourd’hui déjà, les professionnels du tourisme adaptent leurs organisations et renforcent la formation pour permettre aux salariés d’évoluer.

On voit de plus en plus de serveurs autoentrepreneurs. N’est-ce pas la réponse des jeunes à un manque de reconnaissance?

L’ubérisation de l’économie conduit à un capitalisme sans visage, très dur. Elle touche tous les métiers d’aide à la personne et, de plus en plus, les métiers du tourisme. Après la livraison de repas à domicile, le service fait travailler de plus en plus d’indépendants. Je ne suis pas contre la modernité, mais on est en train d’oxyder le modèle social français. Si l’on veut une société ubérisée, il faudra l’assumer.

Booking et Airbnb contribuent-ils à développer le tourisme en France?

Booking et Airbnb valorisent peut-être la destination France, mais ces plateformes font une concurrence déloyale aux hôteliers. Booking prend 15 % à 20 % de commissions, et Airbnb, en prétendant permettre des revenus complémentaires pour les Français, dérégule le logement et l’emploi dans le pays. Il faut que l’État régule et arbitre.

Vous avez l’ambition de créer un «Booking à la française». Accor a essayé en 2015, avant de renoncer. N’est-ce pas trop tard?

Accor a sans doute eu raison trop tôt, et il n’est pas trop tard! Le phénoménal développement de l’intelligence artificielle ouvre des opportunités. En France, avec autant de sachants, on peut trouver des solutions et créer une plateforme française ou européenne afin d’éviter aux hôteliers de se faire spolier. Si l’on veut un tourisme durable, il faut que les entreprises du secteur aient suffisamment de marges pour investir. Sinon, elles auront les mêmes problèmes que les agriculteurs. Je veux mettre toutes les parties prenantes du tourisme autour de la table pour travailler autour de cette idée.

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