
Coronavirus : la grande peur des restaurateurs
Avec leurs établissements fermés depuis le 15 mars, et sans certitude sur la date de leur réouverture, les restaurateurs sont sous le choc. Gargotes de quartier, bistrots gourmands, tables étoilées forment le socle du mode de vie à la française… Qui s’en sortira ? Qu’est-ce qui va changer pour les professionnels et pour les clients ?
Vous êtes attablé avec vos proches, sous une bulle transparente. Le maître d’hôtel s’approche, mais pas trop. Il porte des gants blancs et un masque, pourtant ce n’est pas mardi gras. Il ne vous tend pas de carte, mais un QR Code, et vous invite à télécharger le menu sur votre smartphone. Cette scène surréaliste, vous la vivrez peut-être bientôt dans votre restaurant préféré. À condition qu’il ait survécu. Car le secteur traverse depuis un mois et demi la crise la plus grave de son histoire.
Les chiffres les plus dramatiques circulent depuis le 14 mars, ce jour où les professionnels ont appris à 20 heures qu’ils devaient baisser le rideau à minuit. Selon l’Union des industries et des métiers de l’hôtellerie (UMIH), sur les 160 000 points de restauration de l’Hexagone, quelque 100 000 seraient condamnés en l’absence de plan de soutien. « La plupart des restaurants sont des TPE, et leur trésorerie représente à peine deux jours de recette », prévient Hervé Becam, vice-président de l’organisation. Selon Bernard Boutboul, le fondateur du cabinet Gira, spécialiste du secteur, si la fermeture devait durer trois mois, c’est-à-dire jusqu’à la mi-juin comme le laissent présager des fuites intervenues la semaine dernière, 20 à 25% des restaus disparaîtront, soit environ 40 000. D’autres sources évoquent la faillite de « seulement » 10% des établissements.
Mais sans doute faut-il rester prudent dans les pronostics, comme François Blouin, patron du cabinet Food Service Vision, tant les incertitudes sont nombreuses. Car le futur des restaurants dépendra de l’envie des clients d’y retourner , mais aussi des décisions politiques qui seront prises : prolongation du chômage partiel, date d’autorisation de redémarrage, conditions d’hygiène, réouverture de l’espace aérien pour laisser entrer les touristes… La France n’est pas le pays le plus touché par la déflagration. Aux Etats-Unis, le gourou du secteur Roger Lipton évoque déjà un « carnage », avec 3 millions d’emplois supprimés. Le chômage partiel n’existe pas aux Etats-Unis… Au Canada, le syndicat professionnel a calculé que sur le seul mois de mars, 10% des restaurants du pays ont déjà mis la clé sous la porte.
Miser sur les réseaux sociaux
Dès la fermeture, de nombreux cuisiniers ont décidé de se rendre utiles. Ils se sont mobilisés pour offrir des repas aux hôpitaux. Parmi les initiatives les plus efficaces, il faut citer « Les chefs avec les soignants », l’opération concoctée par le chef de l’Elysée, Guillaume Gomez , avec le journaliste Stéphane Méjanès. Soutenus par la start-up TipToque (pour la logistique), le marché de Rungis, Transgourmet et Métro, des dizaines de cuisiniers régalent depuis plus d’un mois les infirmiers, médecins et aides-soignants.
Parallèlement, les toques s’efforcent de garder le contact avec leurs clients, par la grâce des réseaux sociaux. Sur Instagram, Guy Martin, le chef doublement étoilé du Grand Véfour, réalise depuis sa propre cuisine des recettes faciles. Toujours sur Instagram, Bruno Verjus (une étoile à Paris) raconte chaque jour avec talent des histoires de gastronomie. Il vient de lancer un service de livraison de viandes et de poissons d’exception, prêts à cuisiner, garnitures et recettes incluses. Amandine Chaignot, ex-jurée de « Masterchef », sur TF1, a transformé son jeune restaurant Pouliche, dans le Xe arrondissement de Paris, en marché de petits producteurs, une façon d’assurer un revenu minimum à ses fournisseurs. La mythique Tour d’Argent vend à emporter ou en livraison à domicile les canards de la maison Burgaud, qui approvisionne le restaurant depuis 1947.
« On a la chance d’être français ! »
Les restaurateurs s’affairent aussi à sauver leurs entreprises. Les plus éclairés, conscients du sort de leurs confrères européens ou américains, reconnaissent que l’Etat est au rendez-vous. « On a la chance d’être français ! confie Yannick Alléno, le chef trois étoiles du Pavillon Ledoyen et de Cheval Blanc, à Courchevel. On dit merci à nos gouvernants, qui font de leur mieux à tous points de vue. Nous avons pu bénéficier immédiatement de prêts garantis par l’Etat et du chômage partiel pour ne pas avoir à licencier. »
Une attente insupportable
Pour répondre à toutes les inquiétudes, le ministre de l’Economie Bruno Le Maire a organisé le 20 avril une réunion en visioconférence. Autour de la table virtuelle, des restaurateurs, dont Philippe Etchebest, animateur de « Cauchemar en cuisine » – émission au titre prémonitoire – et juré truculent de « Top Chef » sur M6, Sébastien Bazin, le président d’AccorHotels, et des représentants des banques, des assurances. Au cours de cet échange, auquel nous avons pu assister, le ministre de l’Economie a beaucoup écouté, cherché des solutions, et invité chacun – y compris les assureurs – à un esprit de solidarité… Le ministre a ensuite demandé à Sébastien Bazin de lui faire des propositions sur les conditions dans lesquelles la vie des restaus pourrait reprendre son cours.
Sur ce sujet délicat, le métier est en ébullition. Ce sera l’un des seuls à ne pas pouvoir reprendre le 11 mai. Trop risqué sur le plan sanitaire, selon les pouvoirs publics, compte tenu des flux et des contacts entre les personnes, salariés ou clients. Irrités, certains ne comprennent pas pourquoi les écoles seraient plus sûres que leurs établissements. Pour d’autres, l’incertitude et l’attente deviennent insupportables. « Vous n’imaginez pas à quel point nous sommes tous pressés de retrouver nos clients, lâche André Terrail, le jeune patron de La Tour d’Argent, à Paris. Notre métier, c’est une pièce de théâtre qui en principe ne s’arrête jamais. »
Un secteur à 50 milliards d’euros
Au-delà de leur importance dans le mode de vie des Français, les restaurants contribuent grandement à la richesse nationale, avec plus de 50 milliards d’euros de recettes annuelles, totalisées par quelque 160 000 établissements, dont plus du tiers fournissent une restauration rapide. La seule ville de Paris en abrite 18 000. Le premier groupe de restauration, en chiffre d’affaires, est McDonald’s, à plus de 5 milliards d’euros, suivi par le groupe Bertrand (Burger King, Quick, Hippopotamus, Lipp, Bofinger, Le Procope), autour de 2 milliard d’euros. La France est le pays du monde qui compte le plus d’établissements avec trois étoiles au guide Michelin (29 début janvier), devant le Japon (27) et les Etats-Unis (14).
Le calendrier au centre du débat
Emmené par Alain Ducasse et une quinzaine de chefs étoilés, le Collège culinaire de France, qui regroupe 1 800 restaurateurs et près de 1 000 producteurs de qualité, a publié un appel pour que soit autorisé le redémarrage dès le 11 mai des établissements qui prendraient des engagements sur l’hygiène, mais aussi sur deux autres points : le choix de leurs fournisseurs – des producteurs et artisans français – et le maintien d’un maximum d’emplois.
Cette tribune, publiée dans Le Figaro, n’a pas plu à tout le monde, y compris au sein du Collège culinaire de France. Les plus « vertueux » – en réalité les grands restaurants – seraient favorisés. Eux seuls seraient capables d’investir dans des équipements onéreux, de garder leur personnel et de s’approvisionner auprès des petits producteurs de qualité. Autre objection : ne serait-il pas périlleux de rouvrir trop tôt ? Les charges risqueraient de revenir bien avant les clients…
En réalité, l’appel lancé par le Collège culinaire a réussi à placer le calendrier de réouverture au centre du débat. Si bien que le 24 avril, une nouvelle réunion s’est tenue avec des représentants de la restauration et de l’hôtellerie, dont Alain Ducasse, cette fois autour d’Emmanuel Macron. Plus de deux heures de visioconférence avec le chef de l’Etat et trois ministres (Economie, Action et des comptes publics et Tourisme), quoi de mieux pour montrer la mobilisation de l’exécutif ? Le président n’a pas annoncé de date, mais une méthode et des moyens. « Il a annoncé de nouvelles mesures de soutien, se félicite Alain Ducasse, mais aussi un plan de reconquête et un calendrier intelligent. » La date officielle de la réouverture sera décidée fin mai, en fonction de l’évolution de l’épidémie.
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Les modèles gagnants post-Covid
Spécialiste de la restauration, le cabinet Food Service Vision réalise actuellement une étude sur les modèles qui s’imposeront dans l’après-crise. En avant-première, voici les premières pistes de cette étude stratégique, qui distingue quatre types d’établissements. Pour s’en sortir, tous ne sont pas logés à la même enseigne…
Les éclaireurs Les plus imaginatifs et les plus exigeants
Profil : établissements à capacité réduite avec un ticket moyen élevé, proposant une expérience culinaire très qualitative, avec une amplitude horaire assez faible. Souvent dirigés par des chefs metteurs en scène de leur créativité sur les réseaux sociaux.
Enjeux : proposer une expérience culinaire très haut de gamme, via une carte courte, dans une ambiance intimiste, avec tables plus espacées, salons privés, lounge…
Les « haut débit » Les plus exposés après la crise
Profil : brasseries, restaurants branchés, grands établissements avec des emplacements de flux à fort trafic naturel, proposant une offre large sur une très grande amplitude horaire. Peu actifs sur les outils digitaux.
Enjeux : réinventer un modèle qui fonctionnait sur une logique de fort débit désormais impossible. Impératifs de réduction de personnel et de proposition de nouveaux services à emporter ou de livraison, via une montée en compétence sur le digital.
Les « comme à la maison » Les plus contraints à se réinventer
Profil : restaurants de quartier avec une salle de petite capacité et une clientèle d’habitués de proximité. Carte courte, type ardoise, à base de cuisine du marché dans une ambiance « auberge » conviviale et chaleureuse.
Enjeux : adapter leur modèle en jouant sur une amplitude horaire élargie, en essayant de saturer leur salle tout au long de la journée, tout en respectant la distanciation. Et/ou se transformer en stand de restauration rapide proposant des plats du jour de qualité à emporter.
Les résilients Les mieux armés pour faire face à la crise
Profil : restaurants à thème, grands établissements à forte amplitude horaire ou adresses gastronomiques, ils ont déjà développé les services complémentaires au service à table (vente à emporter, click & collect, drive, livraison, service traiteur) et ont une bonne prise en main des outils digitaux.
Enjeux : assurer le revenu du service à table, tout en respectant la distanciation, et continuer à développer le chiffre d’affaires additionnel.
Extrait de l’article de Laurent Guez – Les Echos – A retrouver en intégralité en cliquant sur Source
Source : Coronavirus : la grande peur des restaurateurs | Les Echos